dimanche 16 septembre 2007

Bassin de décantation (suite de la vidange...)


Il est intéressant de faire ce genre de billet en plusieurs temps, cela permet de dépasser sa première réaction.
Le peu de temps qui s'est écoulé a déjà filtré mes pensées et n'a laissé passé que l'essentiel:
Comment vais-je négocier cette rentrée en sachant que je vais devoir faire beaucoup de concessions.

Tout le monde me conseille de ne rien dire, de faire comme tout le monde... Je sais que c'est contre ma nature, nature qui n'est pas subversive par principe.
J'ai quand même eu le temps en 30 ans d'une carrière aussi riche que diversifiée de me faire quelques convictions, au moins sur ce qu'il ne faut pas faire, à défaut de contrôler ce qui'il faut faire.
Depuis 3 jours je suis obsessionnelement à la recherche de lectures, d'outils... qui me permettra d'argumenter ma démarche et de convaincre petite à petit mes collègues et surtout on, si ce n'est d'adhérer au moins de respecter ma liberté de choix pédagogique.

En cherchant, il nous arrive heureusement de faire des rencontres, et si vous ne me lisez pas, je conçois que tout cela est un peu obscur, j'aimerai que vous lisiez cette lettre aux enseignants qui résume tout à fait mon objectif professionnel des 10 ans à venir.

Enseigne mais ne te tais pas

Tu leur parleras de paix et de non-violence, même si tu constates qu'à six ans, tes élèves ont déjà vu plus de cinq-mille morts à la télévision et qu'ils en trucideront plus encore dans leurs jeux électroniques.

Tu mettras en avant la solidarité entre les hommes, même si tu sais que le soir, des images de guerre, de fanatisme et d'horreurs leur seront imposées au cours du journal télévisé.

Tu mettras en place la coopération dans la classe, même si tu observes qu'à peine sortis de l'école, ils sont en proie à une publicité et à un système qui ne valorisent que la compétition.

Tu veilleras à les initier à la poésie de René-Guy Cadou, à leur faire apprécier la causticité d'un Voltaire, le lyrisme de Hugo, la beauté de la langue de Gracq et l'humour de Queneau même s'ils ont le nez plongé dans Harry Potter.

Tu penseras à leur parler des sans-papiers et à leur rappeler l'aventure de Véronica cet été même si l'heure de la régularisation n'a pas encore sonné.

Tu valoriseras des activités sportives de détente et dédiées au bienêtre, au plaisir, même après le Tour de France catastrophique que nous avons eu cette année.

Tu leur proposeras de « travailler plus », non pas pour « gagner plus », mais pour découvrir un monde de plus en plus complexe et fascinant.

Tu mettras à leur disposition des ordinateurs performants non pas pour qu'ils s'y abrutissent de jeux débiles, mais pour qu'ils communiquent mieux, pour qu'ils résolvent les problèmes plus rapidement et facilement, pour qu'ils s'ouvrent au monde.

Tu utiliseras peut-être des manuels scolaires, mais tu veilleras surtout à leur donner accès à une bibliothèque variée, riche et contradictoire.

Tu les engageras non seulement à rechercher le savoir dans les livres, mais aussi à rencontrer les bibliothèques ambulantes que sont les personnes âgées et les passionnés de tout genre.

Tu iras certes dans les musées admirer avec eux les œuvres des artistes, mais tu veilleras surtout à ce qu'ils aient l'occasion eux-mêmes de se confronter avec la matière et les couleurs.

Tu leur enseigneras l'histoire, mais en leur parlant d'abord d'aujourd'hui, en construisant bien entendu des liens dynamiques avec le passé, de crainte de ne jamais y arriver si tu commences avec la préhistoire.

Tu leur apprendras la géographie en privilégiant les visites sur le terrain et en leur montrant qu'elle n'est pas qu'une question de cartes et qu'elle commence au coin de la rue.
Tu décoderas avec eux les émissions et les journaux télévisés, même si tu sais qu'ils sont fascinés par l'Ile de la Tentation.

Tu n'hésiteras pas à exprimer tes propres opinions, sans les imposer, le discours dominant se chargera bien de les relativiser à leurs yeux.

Tu leur proposeras, pour régler leurs conflits, le chemin du dialogue et de l'échange d'idées, même si la formule n'est guère à la mode dans notre société.

Tu leur demanderas d'être au lieu d'avoir, même s'ils arborent en permanence les dernières fringues à la mode, les téléphones les plus performants et les MP3 les plus sophistiqués.
Tu leur parleras de la faim dans le monde, même s'ils se bourrent de saletés à chaque fin de cours.

Tu les entretiendras de l'amour, même s'ils n'en connaissent que ce qu'ils en voient dans les feuilletons à deux sous et les faits divers.

Tu ne craindras pas de dénoncer les guerres ni les injustices, même si tu penses que ta petite voix n'a guère de pouvoir dans le concert de canons qui couvre la planète.

Henry Landroit
http://landroit.skynetblogs.be/
Allez le lire surtout si vous n'êtes pas instit!!!

3 commentaires:

Anonyme a dit…

"la beauté de la langue de Gracq"

A ne pas confondre avec la pensée des Gracques :-)))

Anonyme a dit…

Voilà plus de 10 jours que je n'ai pas lu les blogs de mes ami(e)s.
Je découvre des billets qui me font énormément plaisir, et surtout celui-ci, en parfaite harmonie avec ma conception de la place de l'enfant dans notre monde actuel.
Bravo, j'ai apprécié...!

Anonyme a dit…

"Je veux r'tourner à la cocole maîtresse!!!!"