jeudi 29 novembre 2007

Prenons le temps

De s'informer et de réfléchir pour ne pas nous laisser embarquer dans le canoë
(Vous vous rappelez du canoë, pas beaucoup de places et sûrement pas pour nous).

Ce texte de B Defrance date de 2001… On disait : il exagère. Cette nuit, à Longjumeau, tournaient les hélicos

Bientôt les chars dans les banlieues?


" Toi la dernière fois je t’avais prévenu j’vais t’éclater tes boutons ! »

Ce n’est pas un sauvageon qui en menace ainsi un autre à l’occasion d’une « embrouille » quelconque. C’est un policier dans l’exercice de ses fonctions qui, à dix-sept heures cinquante-cinq, infligera à quatre jeunes qui discutent au pied de l’immeuble une amende pour « tapage par éclats de voix », avec procédure devant le tribunal de police. L’un d’entre eux, en effet, est un peu boutonneux… C’est le troisième contrôle d’identité dans la même journée pour l’un des jeunes : pure coïncidence sans doute, il est noir. Réponse du Directeur Départemental de la Sécurité Publique au courrier de l’association de quartier : les fonctionnaires « ont procédé à la verbalisation des contrevenants dans le respect des règles du droit pénal et du code de déontologie. »

Même commune : claquements de portières, cris, injures, interpellations obscènes, moteurs rugissants, crissements de pneus, cette paisible rue pavillonnaire subit depuis des mois le comportement de certaines familles récemment installées dans le quartier ; cette nuit-là, à deux heures du matin, une fois de plus, des habitants appellent la police, qui répond qu’il n’y a pas de véhicule ou de personnel disponibles. Des habitants excédés se rendent immédiatement au commissariat : quatre véhicules de police stationnent devant et des policiers en nombre sont présents. Peut-être n’est-ce pas en effet tout à fait la même chose d’intervenir à dix-sept heures pour quatre gamins qui rigolent au pied d’un immeuble que dans une rue contre un gang local qui fait régner la terreur à deux heures du matin… Les effets en termes électoraux sont parfaitement prévisibles. Peut-être voulus ?

Deux petits faits, dérisoires : dans le premier, les policiers qui tutoient les jeunes et les menacent (article 222.18 et 223-13, 7°, du code pénal), peuvent humilier ou injurier en toute impunité ; dans le second, ils révèlent leur peur ou leur impuissance. Dans les deux cas, ils détruisent leur propre autorité et la police n’est plus police. Ce genre de faits est à l’origine du malaise policier : l’alternance répétée de situations où un même individu est pris entre la jouissance de l’impunité quand il exerce une violence et la honte de l’impuissance quand la violence se retourne contre lui, ne peut que détruire n’importe quelle structure mentale, fût-elle la mieux « formée ». Peut-être les récentes manifestations de policiers ont-elles soulagé chaque stress individuel : peut-être y aura-t-il eu moins de dépressions ou de suicides parmi eux cette fin d’année 2001…

J’enseigne en banlieue nord de Paris : environ 150 élèves de classes terminales, chaque année. Comme responsable associatif, je côtoie aussi beaucoup de jeunes dans les cités. Depuis trente ans que j’enseigne et que je milite dans la défense des droits au quotidien, je n’en ai pas encore rencontré un seul – je dis bien un seul, garçon ou fille – qui ne puisse raconter des faits analogues à ceux rapportés ci-dessus, soit décrivant le sadisme ou le racisme ordinaire de certains fonctionnaires devenus mercenaires, soit décrivant leur impuissance à remplir leur mission en arrêtant les véritables acteurs des mafias locales. Certes, les jeunes voient bien que la police sauve aussi dans des conditions parfois très difficiles, quand tous les autres citoyens ont déserté, quantité de gens englués dans des violences quotidiennes, enfants maltraités ou rackettés, couples déchirés, petits vieux agressés, jeunes à la dérive aussi ; mais si l’image partiale et partielle de la police persiste et s’aggrave, c’est aussi parce que c’est cette image qu’elle donne trop souvent d’elle-même.

Quant au délire sécuritaire qui saisit bon nombre de nos élus jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État, et bon nombre de nos « intellectuels » qui ne rencontrent évidemment jamais les « sauvageons » qu’ils stigmatisent, là aussi, il n’est que révélateur de la peur (de perdre son mandat), de l’impuissance (puisqu’il faut dans le même temps « plus de moyens » et « baisser les impôts » !), autrement dit de l’absence de toute lucidité et courage politique. La question est simple : quel est le degré de conscience civique des adultes ? Quels exemples donnent-ils aux jeunes ? Ce ne sont pas seulement les voyages privés de certains qui sont payés en coupures de cinq cents francs, ce sont aussi les loyers dans certaines cités… Qui encaisse en fin de circuit ? D’anciens bons élèves, passés généralement par les « grandes » écoles, qui sévissent silencieusement dans la banque, les sociétés immobilières et financières, les cabinets d’architectes, les entreprises de travaux publics, et… les cabinets ministériels. Montesquieu : « Ce n’est point le peuple naissant qui dégénère, il ne se perd que lorsque les hommes faits sont déjà corrompus. »

Continuons donc : à gifler et injurier des gamins menottés à poil dans des commissariats ; à infliger un an de prison ferme (ce qui détruira pour la vie un garçon de 20 ans) suite à l’agression d’un chauffeur de bus (un jour d’arrêt de travail) ; à en condamner un autre à la même peine pour avoir flanqué un coup de pied dans un abri-bus (il est vrai détruit) pendant qu’un préfet de la République, dont les frais de défense sont pris en charge par l’État c’est-à-dire les contribuables, est lui aussi condamné à la même peine pour avoir commandité une action terroriste ; à tirer sur des jeunes qui « tapent la discute » au pied des immeubles (combien de morts par an ?), pendant que de prétendus chasseurs transgressent la loi en se pavanant sous l’œil des caméras ; à exclure tel gamin d’un collège après conseil de discipline et signalement au parquet des mineurs suite à une bousculade involontaire au coin d’un couloir contre un professeur, pendant que des parents s’épuisent en vain dans des procédures pour défaut de surveillance à propos de leur enfant tabassé en cour de récréation lors d’un « petit pont massacreur » ; à laisser dans tel quartier des mineurs d’une maison d’arrêt se développer rackets et viols sur les nouveaux entrants, lesquels se retrouvent là précisément pour viol ou racket ; à prélever tous les mois pendant vingt ans 120 francs de charges pour des ascenseurs sans arrêt en panne ; à expulser telle femme seule avec ses deux enfants qui occupe un appartement dont elle paie régulièrement le loyer en liquide (4 000 francs) entre les mains du propriétaire, sans quittance ni contrat (effet garanti sur les deux garçons) ; à supprimer les subventions pour tel réseau d’entraide scolaire entre lycéens et écoliers (30 lycéens, plus de 120 écoliers concernés) au prétexte que lesdits lycéens n’auraient pas les qualifications requises pour aider les gamins dans leurs devoirs ; à ne pas rescolariser tel adolescent de quinze ans qui sort de trois mois de préventive et à diffuser auprès des chefs d’établissements du département, en toute illégalité, les motifs de sa mise en examen.

Continuons : à mettre dix-huit mois pour instruire une demande de subvention dérisoire autour de tel projet d’animation, quand elle arrivera enfin, elle couvrira à peine les frais d’établissement du dossier de demande lui-même ; à prélever dans telle cité de banlieue des taxes d’habitation largement supérieures à celles qui sont prélevées en zone résidentielle ; à laisser se développer les trafics de drogue, dont les auteurs sont connus, en échange de la paix sociale, puisque les drogues constituent d’excellents sédatifs de masse ; à détourner 1,5 milliards du budget prévu pour l’Aide Personnalisée au Logement pour financer le déficit de l’établissement public de Paris-La Défense (budget 1999), pendant que 40 000 demandes prioritaires de logement encombrent les fichiers du seul département de la Seine-Saint-Denis ; à refuser la régularisation du séjour en France d’une élève de terminale qui suit ses études confiée par ses parents à sa tante, et dès lors considérée comme célibataire sans ressources ; à laisser des policiers jouer aux cow-boys en toute impunité et se comporter exactement selon les mêmes « lois » que ceux dont ils sont chargés d’enrayer les comportements, et les laisser sans formation sérieuse accomplir les tâches les plus difficiles et les plus ingrates ; à envoyer au casse-pipe de jeunes professeurs débutants dans les secteurs les plus difficiles pendant que des agrégés et autres « hors-classe » doublent leur traitement en classes préparatoires ; à laisser, là aussi en toute impunité, telle substitut de procureur traiter les prévenus de « crétins, petits cons» et autres injures choisies en pleine audience, c’est-à-dire à transgresser le code pénal au nom duquel elle parle ; à laisser d’anciens voyous reconvertis en vigiles fouiller à corps, légalement désormais, le gamin qui a dérobé du chocolat, pendant que, dans la même grande surface, on falsifie en coulisses les dates de péremption des produits frais ; à ne pas poursuivre tel président de conseil général au prétexte qu’il va rembourser une partie de l’argent public qu’il a détourné, pendant que le receleur de marchandises « tombées du camion » se retrouve en prison ; à refuser embauches ou logements sur des critères évidemment racistes, en toute impunité ; à condamner en comparution immédiate la victime d’une bavure policière pour « rébellion » et à prononcer un non-lieu en faveur des auteurs de la bavure après trois ans « d’instruction », voire carrément, dix ans après les faits, acquitter le policier meurtrier.

Continuons : à ne pas poursuivre agriculteurs, petits commerçants, etc., qui incendient édifices publics, sabotent lignes électriques ou moyens de transport pendant que le gamin qui met le feu à une carcasse abandonnée se prend un an ferme ; à laisser se développer la gestion des offices HLM ou de la distribution de l’eau comme outils principaux de la corruption et du clientélisme politicien ; à étaler sur les écrans publicitaires l’utilisation sexuelle des corps (y compris et surtout d’enfants) et inciter aux jouissances immédiates en appelant à réveiller « l’instinct » (publicité pour une marque automobile, janvier 2000) ; à prétendre refuser la naturalisation de tel enfant qui en remplit les conditions au prétexte qu’il n’a pas de bons résultats scolaires ; à condamner les « tournantes » de banlieues pendant que les proxénètes de chair fraîche alimentent en toute impunité les amateurs de parties bourgeoises, roses ou bleues, ou que tel romancier à succès fait l’éloge du tourisme sexuel ; à offrir aux gamins excités la jouissance perverse de voir leurs exploits faire la une des journaux télévisés, des vaticinations intellectuelles de nos « républicains » et des discours présidentiels, au moindre feu de poubelles…

Continuons donc : à lutter contre l’exclusion, les incivilités, la délinquance et les trafics (c’est-à-dire dans certains cas les moyens de la survie), par les méthodes mêmes qui les produisent ; à « rappeler » une loi qui n’a jamais été instituée et que ne s’appliquent pas à eux-mêmes ceux qui prétendent l’imposer aux autres ; à exiger la réduction et la soumission des « sauvageons sans repères » au lieu de leur apprendre l’obéissance aux lois en les invitant à participer progressivement à leur élaboration ; à laisser sans reconnaissance ni ressources sérieuses les multiples associations et bénévoles qui s’épuisent au quotidien à maintenir ou recoudre inlassablement le « tissu social » et qui voient le patient travail de plusieurs années détruit par une seule patrouille de police qui ramasse au hasard, par un seul professeur qui méprise ses élèves ou par une seule déclaration ministérielle parfaitement irresponsable.

Continuonsmais alors, prévoyons aussi la multiplication par dix au moins de nos capacités carcérales (de façon à approcher le modèle américain), prévoyons de former les militaires au maintien de l’ordre urbain ; prévoyons aussi les dépenses nécessaires à la « bunkerisation » de tous les édifices publics (sans oublier les bureaux des ministres eux-mêmes !) ; incitons les commerçants à s’équiper de rideaux de fer blindés pouvant résister aux « voitures-béliers » ; prévoyons de faire escorter par les forces de l’ordre les journalistes qui s’aventurent à la recherche d’images pour l’audimat ; prévoyons de placer des policiers armés dans chaque autobus, chaque wagon de train de banlieue, chaque car de ramassage scolaire, avec tous les couvre-feux ou états de siège nécessaires et l’interdiction, de jour comme de nuit, des rassemblements de plus de trois adolescents sur la voie publique (comme vient de le décider un maire de banlieue). Les moyens financiers nécessaires et supplémentaires seront avantageusement gagnés sur les non-créations ou suppressions de postes d’enseignants, d’éducateurs spécialisés, de magistrats, d’assistants sociaux, d’inspecteurs du travail, d’îlotiers, d’infirmières et médecins scolaires, et sur les économies réalisées en suppression de subventions aux associations d’habitants et d’initiatives culturelles, et, bien entendu, adaptons les budgets de l’État et des collectivités locales, c’est-à-dire la fiscalité, à ces nouvelles exigences : coût d’un seul jeune en « Centre d’Éducation Renforcée », 2 000 F. (305 €) par jour, soit 730 000 F. (111 288 €) par an, coût approximatif de la scolarité d’un bachelier de la maternelle au bac, 500 000 F. (76 225 €), pour quinze ans d’école. Continuons…

Mais alors aussi, qu’on ne compte pas sur moi, professeur de philosophie en banlieue, pour me faire complice de cette violence meurtrière, constante, massive et répétée des institutions, sociétés immobilières ou financières, entreprises et pouvoirs publics : mes élèves sont à peu près bons ou moyens, issus de toute la planète, tout à fait « intégrés », et tout à fait prêts à participer aujourd’hui ou demain à n’importe quelle révolte qui pourra leur donner le sentiment d’exister enfin (pour les lycéens, c’est tous les quatre ans : rendez-vous en octobre 2002 ?). Mon seul objectif, pour ceux dont j’ai la responsabilité, est d’essayer de leur permettre : de construire l’intelligence et l’efficacité civique de leurs refus, voire de leur violence ; ou de sortir de leur résignation infiniment plus inquiétante et massive que les violences visibles ; ou encore d’échapper aux pièges de l’imitation à leur échelle dérisoire des prédateurs de la mondialisation libérale (les parades en « béhèmes » neuves, ça ne dure pas longtemps, en tout cas moins longtemps que les opérations bancaires douteuses dont les contribuables épongent les résultats). C’est tout ce que je peux leur dire : « Les adultes autour de vous ne respectent pas la loi ? Raison de plus pour vous d’apprendre à y obéir parce que vous apprenez aussi à participer à son élaboration. Il faut bien que quelqu’un commence ! » J’ai déjà rencontré, à tous les échelons de la hiérarchie, des policiers qui savaient aussi leur tenir ce langage, républicain. Et heureusement, avant d’arriver, survivants de la sélection scolaire, en classe terminale, certains, parfois, ont déjà eux-mêmes rencontré un professeur, un policier ou un magistrat qui savait leur parler et leur dire la loi, parce qu’ils avaient déjà pris leur parti, dans le refus des fatalités ou violences en miroir.

Mais l’alliance nécessaire des éducateurs, de la police, des jeunes de banlieue et du peuple, comment l’établir si les responsables politiques font, par peur et démagogie électorale, dans une surenchère destructrice de tout civisme ? Le sempiternel débat entre répression et prévention n’a ici aucun sens : s’agissant de l’action de la police, chaque policier peut et doit comprendre que toute action de répression, y compris par la force, doit être aussi, pour n’importe quel jeune, éducative, au plein sens du terme. Sinon la police n’est plus qu’une bande en uniforme, elle n’est pas la police. Et ce raisonnement pour les policiers vaut évidemment pour tous les représentants de l’État. Que les adultes commencent ! Et s’il est vrai qu’un peu moins de 50 000 mineurs ont fait l’objet en l’an 2 000 de mesures pénales, ce sont plus de 150 000 mesures judiciaires qui ont dû être prises la même année pour protéger les enfants et les adolescents victimes des maltraitances, incestes, viols et violences de toute sorte que leur ont fait subir les adultes. Qui expliquera à la jeune débutante terrorisée en collège que, si un de ses élèves la traite de « salope » ou lui crache dessus, ce peut être l’effet par exemple, douze ans plus tard, de telle fessée déculottée infligée en CP devant toute la classe ricanante ? « Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé ; il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé. Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré et le plus indispensable des devoirs. » (Articles 34 et 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, rédaction de 1793). Mais la citation de ces articles ne tomberait-elle pas sous le coup de l’article 433-10 du code pénal qui réprime « la provocation directe à la rébellion ? »


Bernard Defrance,

professeur de philosophie,

vice-président de la section française de Défense des Enfants International


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout d'abord merci de ton passage , j'ai eu un mal fou a te retrouver , le lien que tu as laissé sur ton commentaire en partance vers ton blog est erroné , donc comme je suis relativement futé j'ai suivi les liens de grain de sel et me voici . j'avoue que je n'ai pas eu le temps de visiter ton blog pour l'instant , mais je vais me faire une joie de le survoller tout du moins ..
Comme tu disais oui malheureusement le sexe raporte un max de com's , je dis malheureuseument parce que tu vois , j'aime bien mon autre blog reservé aux dedicaces et il a beaucoup moins de visites tu t'en doute ..
content en tout cas de t'avoir livré un petit questionnaire special mec ..
a bientôt et merci de ton passage

sylvie a dit…

en passant par grain de sel, avec mes sabots (bis) avec mes sabots de m'selle oh oh oh!!!(bis)avec mes sabots.
Je crois que j'ai atteint la limite autorisée!
Merci Korri!